Vrais avis où faux avis, légal où illégal vis-à-vis d’Amazon, les pratiques ne sont pas toujours honnêtes pour avoir des avis positifs !
En quête de nouveaux écouteurs sans fil, vous vous rendez sur Amazon… et découvrez plus de 100 000 résultats listés. Heureusement, les avis rédigés par les autres clients vous orientent naturellement sur cette paire à la note quasi parfaite de 4,9 étoiles sur 5, attribuée par pas moins de 89 internautes (à la date du 23 septembre). Le dernier avis lu, qui vante une « qualité de son bluffante » et « la facilité d’utilisation du Bluetooth », a achevé de vous convaincre. Problème : il est aussi dithyrambique que… Mensonger. Son rédacteur, également auteur du présent article, a en effet négocié la publication de son avis contre le remboursement du prix d’achat par le vendeur.
C’est en rejoignant un groupe Facebook baptisé Amazon France (Communauté de testeurs de produits) que nous sommes entrés en contact avec plusieurs dizaines d’interlocuteurs proposant ce type de deal : un remboursement contre un simple commentaire élogieux doublé d’une notation 5 étoiles. Facebook compte plusieurs dizaines de groupes de ce genre rien que pour la France. Des espaces de discussions privés que des intermédiaires, travaillant pour le compte de vendeurs chinois à la recherche de visibilité, ont transformé en un marché où tout est bon pour attirer le chaland. Certains proposent même aux bénéficiaires, baptisés « testeurs », une rémunération, généralement comprise entre 5 et 10 euros. À chaque jour son lot d’annonces produits : ceintures amincissantes, coques d’iPhone, pommeaux de douches, batteries externes, sex toys… Leur prix affiché sur Amazon oscille entre 5 et 30 euros.
Mais pour profiter gratuitement de cette droguerie 2.0, les utilisateurs Facebook doivent d’abord montrer patte blanche. Chaque transaction, qui se négocie par messages privés (MP), commence d’ailleurs par la même question : « Pouvez-vous m’envoyer votre profil Amazon ? » Ce dernier est accessible depuis un onglet peu connu du grand public. Il recense l’historique des avis et commentaires postés par un client Amazon. Il permet à l’intermédiaire de juger de la crédibilité de l’acheteur aux yeux de l’e-commerçant. Les profils les plus anciens, aux commentaires espacés et idéalement pas tous flatteurs, sont les plus prisés.
Les nouveaux arrivants, qui n’ont jamais commenté, auront plus de difficultés à se faire accepter. Un intermédiaire nous a demandé d’attendre un à deux mois avant de pouvoir nous faire bénéficier de ses offres. « C’est dangereux pour vous et pour la boutique de mon client », nous explique-t-il. Comprendre qu’il ne faut pas attirer l’attention d’Amazon avec une activité aussi soudaine qu’élogieuse. Le géant de l’e-commerce dispose en effet d’algorithmes spécifiques pour détecter les tricheurs. Ces derniers peuvent voir leur compte fermé alors que les vendeurs fautifs risquent, eux, d’être expulsés de la marketplace. Reste qu’il nous a suffi de publier 5 commentaires sur des commandes passées au cours des années précédentes pour devenir éligible aux yeux des intermédiaires. Et ces 5 avis, postés en une seule journée, le 13 août 2019, n’ont pas alerté Amazon.
Les intermédiaires, une majorité de Chinois mais aussi quelques auto-entrepreneurs français désireux d’arrondir leurs fins de mois, doivent donc ruser. Rares sont ceux qui vous donneront directement un lien vers le produit que vous devez mettre dans votre panier. « On risque de se faire repérer car Amazon en traque l’origine », nous explique l’un d’entre eux. La plupart communiquent donc une liste de mots-clés à taper dans le moteur de recherche d’Amazon. Un intermédiaire nous a même demandé de parcourir la description du produit pendant quelques minutes puis de regarder un à trois autres produits similaires. Bref, tout est bon pour avoir l’air d’un client lambda.
Dans notre caddie Amazon, après quelques jours d’échanges sur Facebook, des écouteurs Bluetooth donc, mais également des câbles d’alimentation pour iPhone, une batterie externe et même un collier antipuce pour chat. Pour chaque produit nous suivrons la même procédure, à savoir attendre 3 à 7 jours après réception de l’article pour poster le commentaire. « De quoi assurer la crédibilité de ce dernier », nous explique un intermédiaire. Le remboursement interviendra lui généralement deux à trois jours ouvrés après envoi de la capture d’écran qui prouve que l’on a bien commenté. Il s’effectue via un virement Paypal, à l’abri des regards.
Nombreux sont les vendeurs présents sur Amazon qui, selon les estimations d’un spécialiste de l’analyse des avis Amazon, ReviewMeta, se prêtent à ces manœuvres. Plus de 60% des avis laissés sur certains produits high-tech comme les enceintes, les écouteurs ou les montres connectées ne sont pas fiables, selon l’Américain. Car la France est loin d’être un cas isolé. Aux Etats-Unis, la FTC a sanctionné en février dernier un vendeur d’une amende de 12,8 millions de dollars. Au Royaume-Uni, l’autorité de la concurrence a exhorté Facebook à agir et fermer ce type de groupes. Toujours outre-Manche, une association de défense des consommateurs nommée Which s’est intéressée en avril 2019 à 14 typologies d’articles proposés sur Amazon. Avec des conclusions édifiantes : 99% des avis sur les quatre premières références de montres connectées affichées sur le site étaient faux, tout comme 10 000 des 12 000 avis de la première page de résultats sur les écouteurs, qui ne mettait en avant que des vendeurs inconnus du grand public.
C’est que sur Amazon, le succès des produits génériques passe d’abord par leur prix et les avis obtenus. Non seulement ces derniers rassurent le consommateur face à une marque inconnue mais, en plus, « l’algorithme d’Amazon valorise les produits appréciés et qui se vendent bien. Accumuler les commentaires élogieux permet à un marchand de grimper dans les résultats de recherche. » Plutôt que de passer par le programme Vine d’Amazon pour présenter son produit à un club de testeurs, sans garantie de retour positif, les vendeurs chinois préfèrent donc assurer le coup en dépensant quelques centaines voire milliers d’euros dans l’achat d’avis bidon. Avec un ROI quasi immédiat. Passer de 4,2 à 4,5 étoiles peut générer une centaine de milliers d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire.
Certains poussent la combine encore plus loin. Une ficelle, assez grosse, consiste à changer le type de produit assigné à un ASIN (l’ID Amazon) pour permettre à une nouvelle offre de bénéficier des avis postés par le passé. Le produit mis en avant change mais les commentaires restent… alors qu’ils ne le concernent absolument pas. Pour s’en rendre compte, il suffit de jeter un œil à l’historique des photos postées par les utilisateurs qui ont fait un retour (la plupart du temps rémunéré) sur le produit.
Amazon qui n’a aucun intérêt à que ses consommateurs soient ainsi trompés, ne reste pas les bras ballants. Amazon s’efforce sans relâche de protéger l’intégrité des avis des clients et au cours de la dernière année seulement, nous avons dépensé plus de 400 millions de dollars pour protéger nos clients contre les commentaires abusifs, la fraude et d’autres formes de conduite répréhensibles. Amazon a bloqué plus de 13 millions de tentatives de rédaction de faux avis l’année dernière…